L’IA générative est partout : assistants conversationnels, résumés automatiques de documents, rédaction d’e-mails, aide à l’analyse de contrats… Pour une PME, le potentiel est énorme. Mais une question revient toujours :
« Si j’envoie des contrats, des données clients ou des informations financières à une IA comme ChatGPT, est-ce que je perds le contrôle de ces données ? »
Cette inquiétude est légitime, surtout dans un contexte où la confidentialité, la conformité et la confiance des clients sont essentielles. Beaucoup de dirigeants se retrouvent coincés : ils voient bien le potentiel, mais refusent – à juste titre – de copier-coller des documents sensibles dans un chatbot public.
La bonne nouvelle, c’est que vous pouvez utiliser des LLM (Large Language Models, ou grands modèles de langage) tout en gardant vos données sous contrôle. Comment ? En concevant une architecture où :
- vos données restent dans des conteneurs privés ;
- les informations envoyées au LLM sont limitées au strict nécessaire ;
- les éléments sensibles peuvent être anonymisés ou pseudonymisés en amont.
Dans ce premier article de la série, nous allons poser le cadre global. Les articles suivants entreront dans le détail de l’anonymisation et des embeddings (représentations numériques de textes pour la recherche intelligente).
Pourquoi les LLM font peur aux entreprises
Un LLM est un modèle d’IA capable de comprendre et de générer du texte. On lui envoie une question ou un document, il renvoie une réponse structurée, un résumé, une reformulation, etc.
Sur le papier, c’est l’outil idéal pour :
- résumer de longs rapports ;
- analyser des contrats ;
- extraire des informations importantes ;
- assister vos équipes support ou ventes.
Mais dans la pratique, plusieurs questions viennent immédiatement :
- Où vont les données que j’envoie ?
- Sont-elles stockées quelque part ?
- Seront-elles réutilisées pour entraîner le modèle ?
- Qui peut y accéder ?
C’est ce flou qui fait peur. Certaines entreprises interdisent purement et simplement à leurs équipes d’utiliser des IA externes, même pour des usages simples, de peur qu’une information sensible sorte de l’organisation.
Pourtant, il existe une approche plus équilibrée : utiliser les LLM, tout en maîtrisant le flux de données qui sortent de votre environnement.
Reprendre le contrôle : une architecture pensée pour la confidentialité
L’idée clé est la suivante :
Le LLM ne doit jamais être la porte d’entrée vers vos données. Il doit simplement être un “prestataire de calcul” à qui vous envoyez uniquement ce que vous avez décidé de partager.
Concrètement, cela passe par une architecture avec plusieurs couches bien séparées :
- Vos systèmes internes
- ERP, CRM, fichiers partagés, base documentaire, intranet, logiciels internes, etc.
- Ce sont vos sources de vérité.
- Un conteneur privé (ou environnement contrôlé)
- Un serveur ou une infrastructure cloud dédié à votre entreprise.
- C’est là que vous :
- lisez les documents ;
- nettoyez les données ;
- découpez les contenus ;
- anonymisez les éléments sensibles.
- Le LLM externe
- Un service spécialisé, accessible par API.
- Il ne voit que les extraits de texte ou les données déjà filtrées que vous lui envoyez.
- Votre application interne
- Une interface pour vos équipes : chatbot interne, tableau de bord, extension dans votre intranet ou votre CRM.
- C’est ce que les utilisateurs utilisent au quotidien, sans jamais interagir directement avec le LLM public.
Dans ce schéma, vos données brutes ne quittent jamais vos systèmes internes ou votre conteneur privé. Vous contrôlez précisément ce qui est envoyé au LLM, quand et pourquoi.
Conteneurs privés : votre zone tampon sécurisée
Un conteneur privé, c’est votre “zone tampon” entre vos données et l’IA externe.
Il peut s’agir :
- d’un serveur sur votre infrastructure ;
- d’une instance dédiée dans un cloud sécurisé ;
- d’un environnement géré par un prestataire, mais isolé pour votre entreprise.
Ce conteneur joue plusieurs rôles essentiels :
- Collecter les documents et données dont vous avez besoin (sans tout exposer).
- Transformer ces données :
- conversion en texte brut,
- nettoyage des formats,
- extraction des sections utiles.
- Filtrer et anonymiser les informations sensibles (nous y reviendrons dans l’article 2).
- Tracer ce qui est envoyé ou non au LLM (journalisation).
Ainsi, même si vous utilisez un modèle externe puissant, vous ne lui donnez jamais un accès direct à vos bases de données. Vous restez maître de ce qui sort de votre zone de confiance.
Le principe du “minimum nécessaire”
Un principe simple, mais fondamental, peut guider vos choix :
Ne jamais envoyer au LLM plus d’informations que nécessaire pour répondre à une question donnée.
Quelques exemples concrets :
- Pour analyser une clause de contrat, vous n’êtes pas obligé d’envoyer le contrat entier avec les coordonnées complètes de toutes les parties.
- Pour obtenir un résumé d’un rapport, il n’est pas toujours utile d’envoyer les annexes contenant des données brutes très sensibles.
- Pour répondre à une question interne sur une procédure, vous n’avez pas besoin de partager les noms ou identifiants des employés concernés.
Votre conteneur privé peut appliquer ce principe de “minimum nécessaire” en :
- découpant les documents en sections ;
- sélectionnant seulement les parties pertinentes ;
- supprimant ou remplaçant les éléments inutiles ou sensibles.
Cette approche réduit grandement le risque, même si un jour votre connexion avec un LLM externe était mal configurée ou compromise.
Vue d’ensemble d’un pipeline IA sécurisé
Pour visualiser le tout, voici un exemple de pipeline simplifié de gestion des données d’entreprise par l’IA :
- Ingestion des données
Vos documents (contrats, procédures, fiches produits, rapports internes, etc.) sont importés dans un conteneur privé, via des connecteurs ou des automatisations.
- Nettoyage et structuration
Les contenus sont :- convertis en texte ;
- normalisés (formats cohérents, encodage, etc.) ;
- découpés en blocs logiques (paragraphe, section, article…).
- Anonymisation et réduction
Des règles automatiques identifient les données sensibles (noms, adresses, montants précis, identifiants…) et :- les suppriment ;
- ou les remplacent par des codes génériques.
On retire également les parties inutiles pour la question à traiter.
- Sélection du contexte
Selon la question de l’utilisateur, le système sélectionne les extraits pertinents.
Dans un pipeline plus avancé, cela se fait grâce aux embeddings et à des bases vectorielles (nous détaillerons cela dans le 3ᵉ article).
- Appel au LLM
Seuls ces extraits filtrés, accompagnés de la consigne (le “prompt”), sont envoyés au LLM.
Le modèle renvoie une réponse : résumé, analyse, explication, etc.
- Restitution dans une application interne
La réponse est affichée dans votre application interne (chatbot interne, interface dans votre intranet, module connecté à votre CRM, etc.). L’utilisateur final n’a jamais besoin de savoir où se trouve le modèle ni comment la donnée a été préparée.
- Journalisation et contrôle
Le système garde une trace de :- ce qui a été envoyé au LLM ;
- pour quelle requête ;
- à quel moment.
Utile pour l’audit et l’amélioration continue.
Conclusion : l’IA oui, mais pas au prix de votre confidentialité
Vous n’avez pas à choisir entre :
- la puissance des LLM,
- et la protection de vos données sensibles.
En mettant en place une architecture adaptée – conteneurs privés, principe du “minimum nécessaire”, filtrage et anonymisation –, il est possible de bénéficier de l’IA de manière responsable et maîtrisée.
Dans les prochains articles de cette série, nous allons :
détailler les approches d’anonymisation et de pseudonymisation avant d’envoyer des données à un LLM ;
expliquer comment les embeddings et les bases vectorielles permettent de faire travailler l’IA sur vos documents, sans jamais lui donner l’ensemble du contenu brut.
Chez 8P Design, nous accompagnons les PME dans la conception de ce type de pipeline : intégration avec vos systèmes existants, mise en place de conteneurs privés, automatisation des flux de données et gouvernance.
Si vous souhaitez explorer l’IA, mais que la confidentialité vous freine, nous pouvons vous aider à définir une architecture réaliste et sécurisée pour votre organisation.